En quoi les liens entre patrimoine privé et vie de l’entreprise sont-ils déterminants ?
 

Rachel Sabbah : « Les sphères du droit des sociétés et du droit patrimonial privé sont souvent envisagés, tant par les dirigeants d’entreprise que par leurs conseillers, de manière séparée, alors qu’il faut tenir compte de l’un pour évaluer l’autre. Le dirigeant d’entreprise n’a souvent que très peu de connaissances juridiques des relations entre l’évolution de son activité professionnelle et celle de son statut patrimonial personnel. Ceci se présente essentiellement pour les PME ou les nouvelles sociétés ; dans les grandes entreprises - multinationales, sociétés cotées -, ces aspects sont généralement pris en compte. »

 

Pouvez-vous encore illustrer l’impact des évolutions récentes de la législation en matière d’insolvabilité : problèmes de trésorerie, pertes, etc. ?
 

Hugues Simon : « La loi relative à la continuité des entreprises (LCE) et la loi sur les faillites ne sont actuellement pas applicables aux professions libérales : avocats, médecins, dentistes, kinés, comptables, etc., pas plus qu’aux ASBL, qui ne sont aujourd’hui pas considérés comme des entreprises. Or, au niveau du Barreau ou des architectes, par exemple, les personnes rencontrant de sévères problèmes d’ordre financier sont assez impressionnants, allant parfois jusqu’à 25 % des intéressés ! La réforme qui entrera en vigueur au 1er mai prochain prévoit l’extension de la notion d’entreprise à ces professions. L’impact est donc très significatif. Ceci permettra, en effet, à tous ces acteurs économiques de bénéficier de la protection de la LCE - insérée dans le Livre XX du Code de Droit économique - ainsi que de pouvoir être déclaré en faillite et de bénéficier d’une « deuxième chance ». La refonte actuellement en cours du droit des sociétés prévoit également une modification substantielle des conditions de responsabilité du dirigeant et une limitation des montants pour lesquels il pourrait voir sa responsabilité engagée. »

 

Plus précisément, que prévoient les nouvelles dispositions législatives ?
 

H. S.: « En cas de faillite, par hypothèse pour une personne physique, il existe aujourd’hui un problème majeur pour le redémarrage d’une activité dans le chef du failli. Il doit attendre la clôture de la faillite parce que tous les revenus générés avant celle-ci sont incorporés dans la masse réservée aux créanciers. La clôture d’une faillite peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Dans le cadre des nouvelles dispositions du Livre XX du Code de droit économique, le failli pourra demander une remise de dettes avant la clôture. Ceci devrait lui permettre de redémarrer une activité nettement plus rapidement. Dans une certaine mesure, le conjoint qui se serait porté caution pourra également être libéré. Sous l’angle de la réorganisation judiciaire, les risques de solidarité notamment en matière de précompte professionnel, de TVA ou d’ONSS seront également plus limités, entre autres lorsqu’il sera recouru à la loi relative à la continuité des entreprises. »

 

Un exemple des évolutions législatives en cours en matière de succession ?
 

R. S. : « Les modalités du rapport - date et valeurs - vont être modifiées par la réforme entrant en vigueur au 1er septembre 2018. Imaginons le cas d’un dirigeant d’entreprise ayant quatre enfants. Un seul souhaite reprendre l’entreprise. Le dirigeant lui donne alors les actions de la société, qui valent un million d’euros au jour de la donation. Au décès du dirigeant ayant fait la donation, cet enfant sera aujourd’hui considéré comme ayant reçu une avance d’un million sur la part lui revenant dans la succession. Or, il peut y avoir une variation très importante de cette valeur entre le moment de la donation et celui du décès. »

 

Que se passe-t-il, en effet, si l’entreprise a périclité et que les actions ne valent plus rien ?
 

R. S. : « Si la donation a eu lieu avant le 1er septembre 2018, la loi permet au donateur de prévoir, dans l’acte de donation, que le donataire aura la faculté de remettre les actions dans la succession - en nature - pour qu’elles soient partagées. En revanche, si la donation est réalisée après cette date, cette faculté n’existe plus. Si rien n’a été prévu dans la donation réalisée avant le 1er septembre 2018 et que le décès survient après cette date ou si la donation a été consentie après cette date, la valeur à rapporter sera celle au jour de la donation, mais indexée. Imaginons à présent que le décès ne survienne que dans 20 ans et que la société, toujours existante, ne vaut plus que 300.000 euros ; dans ce cas, rien ne permettra au donataire de payer un montant de 1.000.000 euros indexé. Toutefois, la loi nouvelle permet d’autres possibilités, notamment celle de faire un rééquilibrage par le biais par exemple d’un pacte successoral ponctuel ou global. Il s’agit donc de questions fondamentales qui doivent être étudiées préalablement à toute prise de décision, parce qu’elles peuvent avoir un impact non seulement quant à la liquidation de la succession, mais également quant à la survie de l’entreprise. »