En quoi le e-commerce constitue-t-il un défi pour les retailers aujourd’hui ?

 

Dominique Michel : « L’e-commerce est aujourd’hui devenu indispensable pour le consommateur ; le commerçant doit donc répondre à ses exigences. Mais le grand défi pour le retailer actuel est d’avoir un digital rentable : comment fait-on pour continuer à investir dans ses magasins tout en misant sur une approche digitale ? Comment imbriquer ces deux aspects ? Le client d’aujourd’hui veut trouver le produit qu’il a en tête aux meilleures conditions et le plus facilement possible, que ce soit offline ou online. En Belgique, le secteur de l’e-commerce est un peu sous-développé : le défi est donc grand pour nos entreprises qui doivent s’adapter. »

David Vandenbrande : « Pour le shopper, il n’y a plus de barrière : il est normal pour lui de passer de manière fluide d’une plateforme à l’autre, sans cloison entre un service online ou offline. Notre vision de l’e-commerce est encore un peu ancienne à ce niveau-là et un changement de mentalité est important pour les retailers belges. »

Jean-Louis Van Houwe : « Quand il est bien développé, l’e-commerce constitue une opportunité géniale pour mieux connaître ses consommateurs et pour améliorer ses services. Je pense toutefois que la Belgique souffre d’un réel retard en matière de paiement électronique. La technologie est rendue très compliquée pour les retailers qui doivent déployer des solutions de paiement. »

Christophe Colson : « Un des challenges de l’e-commerce est le respect des législations. Que ce soit en matière de TVA/douanes et accises, de pratiques du commerce, de moyens de paiement, de fiscalité directe ou encore de protection des données : le défi du retailer de demain est de pouvoir être rentable tout en respectant l’aspect législatif qui, même s’il évolue, reste toujours quelque peu en retard par rapport à l’évolution des technologies et des pratiques commerciales qui en découlent. »

David Vandenbrande : « Pour le retailer, l’e-commerce représente un changement total de business model et implique un défi complexe et majeur. Le commerce est un milieu très concurrentiel, une nouvelle guerre des prix s’organise et le coût du personnel est le premier frais que l’on coupe. Il faut toutefois miser sur la formation et le service en donnant du sens à son approche client. »

Quentin Mercier : « L’idée de travailler avec les nouvelles technologies fait peur à certains retailers. Même s’ils ont l’habitude d’utiliser Internet pour les réseaux sociaux dans leur vie personnelle, le fait d’utiliser ces outils dans un contexte professionnel les effraie. Ils sont souvent réfractaires au changement et ont peur que les nouveaux dispositifs leur génèrent plus de travail. Ils ne sont pas suffisamment conscients de l’optimisation qu’ils peuvent leur apporter. »

Nicolas Godts : « Il faudra mesurer l’impact de l’e-commerce sur les points de vente physiques. Au niveau de l’immobilier commercial, nous identifions trois segments en Belgique : l’immobilier centre-ville, le commerce de périphérie et les shoppings centers. La tendance actuelle est assez bonne, il y a une légère croissance globale pour ces trois segments. Ce paramètre devra toutefois être évalué avec la montée de l’e-commerce et l’augmentation constante de l’offre commerciale qui devront avoir un impact à moyen terme. On le voit déjà dans certaines villes moins bien localisées dans lesquelles les rues commerçantes sont désertées. »

 

Quelles sont les attentes du consommateur actuel en matière de solutions de paiement ?

 

David Vandenbrande : « Les consommateurs ont besoin de fluidité dans leurs achats. Le paiement est un moment désagréable alors autant qu’il se passe le mieux possible ! Il y a toujours une incompréhension du consommateur par rapport au manque de sécurité : il s’agit d’un langage qu’il ne comprend pas, à juste titre, car ce n’est pas son problème. C’est à la banque et au retailer de sécuriser le paiement. »

Dominique Michel : « Ce qu’un utilisateur va de moins en moins comprendre, c’est l’impossibilité d’accéder à des services qui sont disponibles dans d’autres pays. En Chine, par exemple, tous les paiements se font de manière électronique. La Belgique doit pouvoir se mettre au niveau des pays voisins et concevoir un produit de paiement unique et simple que le consommateur peut utiliser partout où il va. »

Jean-Louis Van Houwe : « Le consommateur ne veut pas avoir à se préoccuper du paiement : il fait confiance à un retailer et à sa banque et souhaite que le processus soit facile et rapide. Ensuite, il veut qu’on lui propose une expérience, une valeur ajoutée, des idées. »

 

Quels sont les enjeux actuels des points de vente physiques ?

 

Nicolas Godts : « Le rôle du magasin physique est très challengé aujourd’hui : il doit continuer à être séduisant auprès du chaland et innovant dans la sensation en proposant une expérience à ses clients. Le consommateur est de plus en plus exigeant : quand il entre dans un magasin, il veut de l’innovation. L’offre commerciale en Belgique est énorme et ne fait qu’augmenter, notamment avec l’apparition de nouveaux centres commerciaux. »

David Vandenbrande : « Le problème est qu’il manque cruellement d’une vision stratégique du commerce en Belgique. On oppose le centre commercial au centre-ville plutôt que de les envisager comme un tout. Quelque part, la dualité est la même pour l’online et le digital, il faut les décloisonner et les voir comme un ensemble. »

Nicolas Godts : « Actuellement, nous avons en Belgique un nombre de commerces par milliers d’habitants supérieur à nos pays voisins, ce qui rend l’offre de commerces très concurrentielle dans notre pays. Il est donc important que dans chaque ville, tant les politiques que les investisseurs propriétaires de commerces accompagnent les retailers pour garantir un environnement commercial suffisamment attractif pour les consommateurs. »

Jean-Louis Van Houwe : « Aujourd’hui, le retailer essaye de vendre des expériences, de s’organiser de manière ludique. L’un des enjeux principaux est que l’utilisateur n’a pas envie d’être seul face aux nouvelles technologies qui lui sont proposées : au-delà de l’utilitaire, il cherche l’amusement et apprécie d’être conseillé ou accompagné en magasin tout en consultant une tablette ou un autre outil informatique. Au 21e siècle, l’e-commerce et les nouvelles technologies impliquent un repositionnement du personnel de magasin, qui doit jouer le rôle d’expert produit. »

David Vandenbrande : « Le point de vente physique est de plus en plus important : on voit d’ailleurs un nombre croissant de retailers en ouvrir, car cela a un impact très positif sur les ventes online. Le magasin donne de la crédibilité à l’activité du retailer, joue un rôle d’investissement de communication ou de marketing. Mais d’autre part, la rentabilité de ces magasins physiques est de plus en plus compliquée. » 

Nicolas Godts : « Nous travaillons énormément avec des commerces de distribution en centre urbain. La mobilité est devenue tellement cruciale que le consommateur a envie de faire ses courses facilement : de plus en plus de commerces de quartier et spécialisés dans la distribution apparaissent, bio ou autres, pour répondre à la demande du consommateur actuel. Par ailleurs, l’expérience est essentielle. Il n’est d’ailleurs pas anodin de voir l’apparition de pop-up stores en ville : des points de vente éphémères destinés à offrir une expérience au consommateur. Cela offre une autre idée du shopping pour le consommateur et c’est aussi un laboratoire pour les retailers. »

Dominique Michel : « Le grand défi actuel du magasin, c’est le service. Comment va-t-on faire pour pouvoir, en magasin, offrir un service particulier ? C’est sa plus-value : sans cela, demain, les magasins seront morts et n’auront plus aucune raison d’être. »

 

Quel est l’impact de la livraison sur ces nouveaux comportements d’achat ?

 

Dominique Michel : « La part de marché de l’online en Belgique est encore trop faible pour que l’on perçoive véritablement l’impact physique et de mobilité qu’aura la livraison. Cela commence à venir dans d’autres pays. En Chine par exemple, certaines personnes reçoivent plusieurs livraisons par jour, avec des conséquences écologiques importantes. Nous n’en sommes pas là chez nous, mais l’impact sera énorme sur le plan environnemental. »

David Vandenbrande : « Tout le monde a pris l’habitude de se faire livrer ses achats, avec pour conséquence un impact écologique immense. Que ferons-nous lorsque nous ne pourrons plus faire appel à la livraison ? Des villes comme Paris commencent déjà à interdire la livraison par camion. Certains commerces ou concepts essayent de mutualiser la distribution, mais nous tournons un peu en rond, car cela induit la création de nouveaux points de vente. »

Dominique Michel : « Une solution est de mutualiser la livraison : certains grands acteurs y ont déjà réfléchi sans que les résultats ne se concrétisent véritablement. Il y a aussi le système de collectivisation sur des picking point. Tout cela doit être bien envisagé, mais il n’y a malheureusement pas de véritable travail de fond à ce sujet à l’heure actuelle. »

 

En quoi la formation au digital est-elle un point-clé de la modernisation du commerce ?

 

Dominique Michel : « Le service est un élément-clé de la survie des magasins et qui dit services, dit personnes. Malheureusement, le contexte actuel coince en matière de personnes : environ 8 travailleurs sur 10 en magasin s’occupent d’autre chose que du service direct au client, ce qui pose un réel problème. Afin de favoriser ce service, le personnel doit être formé aux nouvelles tâches d’accompagnement client. »

Quentin Mercier : « Il y a un important effet de décentralisation de la gestion des ressources humaines, principalement dans les grosses enseignes. La responsabilité des RH est de plus en plus attribuée aux magasins eux-mêmes, auprès des responsables de rayon notamment. Mais ces travailleurs proviennent généralement du terrain et n’ont pas été habitués à la gestion des ressources humaines. Non seulement on leur demande donc de faire quelque chose à laquelle ils ne sont pas habitués, mais en plus de le faire avec de nouveaux outils informatiques. La formation est donc primordiale. »

Dominique Michel : « Chaque magasinier devrait être formé à la polyvalence, pour qu’il puisse effectuer différents rôles au sein du magasin plutôt que d’être cantonné à un seul poste. Tout cela implique un accès à ces évolutions pour l’ensemble des commerces belges : un projet difficile à concrétiser dans notre contexte social bétonné. »

Jean-Louis Van Houwe : « La Belgique manque cruellement de profils IT et l’accès à la formation n’est pas du tout adéquat. Nous constatons que le point de départ est une éducation qui n’est pas apte à stimuler ce genre de vocations. Le problème est également managérial : certains managers sont trop peu enclins à se moderniser au niveau du digital. Il s’agit donc d’un enjeu de société, pour lequel un vrai changement de mentalité est nécessaire. »

Dominique Michel : « Notre système d’enseignement manque cruellement d’un apprentissage aux nouvelles technologies. Les cours sont donnés aux enfants pratiquement comme ils l’étaient il y a vingt ans et nos jeunes entrepreneurs sont ensuite mis en compétition avec des Américains ou encore des Chinois, bien plus avancés dans ce domaine. Il y a donc un énorme travail à effectuer dans l’enseignement afin d’intégrer le phénomène digital dans les cours et de rester compétitifs à l’échelle mondiale. »

 

Quelles sont les tendances actuelles en matière de réglementation et d’utilisation des données des utilisateurs ?

 

Christophe Colson : « Il y a pour l’instant d’importantes évolutions au niveau européen pour protéger le consommateur par rapport à l’utilisation de ses données, avec l’entrée en vigueur du GDPR qui impose la mise en place de mesures de protection d’ici mai 2018. Le GDPR comporte huit principes de base qu’il convient de traduire sur le terrain en mesures concrètes et pragmatiques. Il n’existe pas encore véritablement de règles précises pour tous les principes, et nous devons mettre en place un cadre d’utilisation en “bon père de famille” avec toutes les dérives que cela peut engendrer… Mais en cas de plainte d’un consommateur, il faudra pouvoir démontrer que ce cadre a été mis en place. Cette législation impose aux retailers de respecter certaines normes et nous mesurerons la réalisation de cet objectif en fonction des plaintes. »

David Vandenbrande : « La difficulté principale de l’utilisation des données résidera dans la compréhension fine des attentes des consommateurs à certains moments de leur vie, pour certains profils, dans certaines conditions d’achats afin de s’adapter réellement à leurs attentes. L’époque où l’on vendait quelque chose à quelqu’un sans qu’il le veuille vraiment est révolue. Il faut à présent être là au bon moment, au bon endroit avec la bonne offre. »

Christophe Colson : « Il est probable que certains comportements d’e-marketing agressifs soient restreints à l’avenir. Un des aspects importants de la nouvelle législation touche l’acceptation du consommateur quant à l’utilisation de ses données : cette acceptation se fait aujourd’hui souvent de manière implicite, mais elle devra demain faire l’objet d’une autorisation explicite et consciente de la part du consommateur. »

Jean-Louis Van Houwe : « De manière générale, si l’utilisateur a un avantage à confier ses données parce qu’il gagne quelque chose en échange, il n’hésitera pas à le faire. Le défi actuel pour les retailers est de pouvoir prouver l’intérêt du tracking ainsi que l’acceptation ferme de l’utilisateur. Le deep learning et l’intelligence artificielle permettent de corréler énormément de données. Tous nos mouvements sur le net sont traçables et le deep learning permet de les contextualiser afin de rendre les services commerciaux bien plus pertinents et avantageux pour le consommateur. »

Dominique Michel : « Il est clair que le big data est l’un des combats essentiels pour les grandes chaînes. Dans les années 70, elles étaient les seules détentrices des données de leurs utilisateurs. Aujourd’hui, ceux qui connaissent les clients sont Google et Facebook. Il est essentiel de transformer ces données en outils efficaces, avant qu’elles ne valent plus rien à force d’avoir été analysées par d’autres sources. »

David Vandenbrande : « Le problème n’est pas la quantité d’informations, mais plutôt l’opacité de l’utilisation de cette information. Demain, être une marque impliquera une meilleure gestion de ces données, davantage de transparence afin de gagner la confiance du consommateur. »

Dominique Michel : « Ce qui me frappe également en matière de privacy est le point de vue culturel. Aux États-Unis, l’approche sur la vie privée est totalement différente. Ici, notre conception de la vie privée est bien plus restrictive. S’ouvrira-t-elle dans les futures années ou les nouvelles réglementations agiront-elles comme un effet boomerang dans la protection des données ? Il est impossible de le prédire. »