À vos yeux, quels sont aujourd’hui les défis économiques majeurs en Wallonie ?
 

Pierre-Yves Jeholet : « Les plus grands défis sont l’emploi, la création d’activités et la création de richesses. Paradoxalement, nous connaissons un taux de chômage élevé, notamment parmi les jeunes, en même temps que des métiers en pénurie de main-d’œuvre pour créer des produits simples comme des chaussettes de compression taille plus. D’où l’importance de la formation, l’attention portée à la compétitivité de nos entreprises et au cadre le plus prompt pour nos PME à créer de l’activité et de l’emploi. À côté de cela, nous avons bien entendu des atouts : nos infrastructures aéroportuaires et portuaires au cœur de l’Europe, un réseau routier et autoroutier important, des universités et de hautes écoles, etc. »

Chantal De Bleu : « Via les deux activités de l’AWEX, que sont la promotion du commerce extérieur et l’attraction des investissements, notre objectif est la croissance en Région wallonne et la création d’emplois. Quand on sait que 70 % du chiffre d’affaires de nos entreprises se fait à l’exportation, on comprend l’importance de les soutenir, de les orienter et de les adapter aux nouvelles technologies et techniques de commerce extérieur. »

Jean-Pierre Jansen : « Pour attirer plus de grandes entreprises en Wallonie, il faut encourager l’investissement et le chiffre d’affaires à l’export, mais aussi pousser nos entreprises à chercher d’autres savoir-faire à l’étranger. Or, aujourd’hui, le contraire a lieu : nos entreprises sont rachetées par des sociétés internationales ! En favorisant la croissance d’entreprises chez nous, on créera un cercle vertueux : de petites entreprises pourront graviter autour des plus grandes. »

Chantal De Bleu : « L’internationalisation des entreprises est l’une de nos priorités. Notre projet OWIN (Open Worldwide Innovation Network) vise à accélérer l’internationalisation des entreprises actives dans les hautes technologies, au travers d’implantations et de contacts, notamment aux États-Unis ou en Chine. Notre programme Explort, qui fêtait ses 10 ans et dans lequel nous collaborons avec l’EPHEC, permet de sensibiliser les jeunes aux métiers du commerce extérieur de manière pratique. Nous y constatons que les jeunes Wallons ont une bien meilleure connaissance des langues qu’auparavant. »

Serge Pampfer : « Les technologies, notamment les biotechnologies, portent de nombreux espoirs. Toutefois, même si ces dernières années, on a investi massivement dans l’inventivité, soit la capacité à inventer et à découvrir, on n’a pas encore réellement atteint l’innovation en tant que telle, j‘entends celle qui se transforme en produit, trouve son marché, devient un succès commercial et rapporte de l’argent. Et c’est possible ! Au niveau de notre secteur par exemple, si on prend le portefeuille d’incubation de 2012, nous avions 12 % de sociétés ayant quelque chose à vendre ; aujourd’hui, on atteint 58 % ! Il faut faire sortir les inventions des universités et des réseaux d’entrepreneuriat et vraiment les pousser jusqu’à leur marché. »

Kim Möric : « Jusqu’à très récemment, les secteurs public et privé vivaient dans leur propre écosystème, avec peu d'interactions. Aujourd’hui, les autorités wallonnes sont conscientes que nourrir des partenariats public-privés (PPP) crée de la valeur ajoutée, aussi bien dans la recherche & développement que dans les infrastructures et les services. Cela va dans les deux sens : du public vers le privé pour le développement de projets avec, à la clé, de l’emploi pour le secteur privé ; du privé vers le public, avec un transfert de connaissances et l’acquisition d’actifs neufs permettant de développer les missions de service public. »

Thierry Nollet : « La concertation sociale doit être perçue comme une absolue nécessité dès le moment où elle peut constituer un frein pour l’expansion économique. Group S a développé un niveau d’expertise unique intégrant les questions relationnelles - stratégiques et tactiques -, gage de pérennité des projets et garantie d’une vraie paix sociale. »

Véronique Gillet : « La question de l’emploi interpelle particulièrement. En Wallonie, nous disposons d’un très large éventail de formations, et l’accès aux études est bien plus facile que dans d’autres pays voisins. Mais deux problèmes essentiels se posent : d’une part, de nombreux jeunes sont très tôt en décrochage scolaire en raison d’un manque de motivation ; d’autre part, l’orientation scolaire n’est pas toujours adéquate, soit parce que les jeunes évoluent dans des filières peu porteuses en termes d’emploi, soit parce qu’ils optent pour des orientations qui ne leur conviennent pas. Vu le nombre d’entreprises qui pleurent après les diplômés dans certaines formations, c’est un énorme gaspillage de moyens. Il est primordial d’informer les jeunes dès le secondaire sur les opportunités d’emploi sur lesquelles débouchent certaines filières. »

Pierre-Yves Jeholet : « On doit en effet avoir le courage d’orienter nos jeunes vers des métiers porteurs de débouchés. Il faut aussi valoriser la recherche en la décloisonnant, ce que font déjà en partie nos pôles de compétitivité. »

Jean-Pierre Jansen : « On a toutefois le sentiment que l’essentiel des moyens est mis sur les petites entreprises et les startups, alors que d’autres entreprises sont également en demande de moyens. Au niveau de la Région, il faut sans doute réfléchir à une meilleure adéquation ; les banques ne peuvent pas toujours intervenir. Par ailleurs, il est nécessaire que les différents acteurs, qui ont des rôles complémentaires, conjuguent leurs efforts et utilisent tous les leviers pour redresser la Wallonie. Sans cela, nous continuerons à avoir un taux d’emploi de l’ordre de 65 % seulement ! »

Serge Pampfer : « Il est effectivement essentiel de créer de l’interdépendance, notamment entre les sociétés, pour atteindre une masse critique amenant l’innovation au marché. C’est par exemple le cas dans le secteur de la thérapie cellulaire, où nous avons des sociétés développant des traitements innovants à partir de cellules, mais aussi des sociétés produisant ces cellules pour en faire des produits, des sociétés en charge de la manière de les conserver et, enfin, des sociétés responsables de la logistique. On a donc là une filière, une chaîne de valeur complète. C’est aussi cela qui incite des sociétés étrangères à investir en Wallonie. »

 

Quel regard portez-vous sur l’entreprenariat en Wallonie ?
 

Chantal De Bleu : « Trop souvent, nos entreprises manquent d’ambition et souffrent du syndrome "pour vivre heureux, vivons cachés". Nous leur apprenons donc à travailler leur communication et à oser plus, grâce notamment à différents programmes, outils de diagnostic de maturité et formations. »

Thierry Nollet : « Comme au Nord du pays, nous devrions pouvoir compter sur l’appui des médias pour entretenir une véritable identité d’appartenance wallonne. Le politique doit pouvoir fédérer un peu plus les forces vives en Wallonie, sans oublier d’y inclure un secrétariat social comme le nôtre, qui détient une véritable valeur sociétale dans son accompagnement quotidien des indépendants, des entreprises et des salariés. »

Kim Möric : « La confiance est un facteur clé. En matière de PPP, elle doit être réciproque entre le secteur public et le privé. Un entrepreneur, dont le temps est limité, peut investir dans la réponse à donner à des marchés publics complexes comme des PPP, mais il ne s’y investira que s’il a confiance. La difficulté est d’établir cette confiance dans un temps très limité. Les PPP sont un moyen d’y arriver. Ils impliquent toutefois une prise de risque comme dans toute compétition, une éducation à la technique des PPP, une expérience à acquérir ou à valoriser. »

Jean-Pierre Jansen : « Les mentalités évoluent, en particulier chez les jeunes, plus enclins à prendre des risques. Ils ont toutefois besoin d’accompagnement : avoir une bonne idée, c’est très bien ; pouvoir l’implémenter et la distribuer, c’est mieux ! Par ailleurs, en matière de simplification administrative, on constate tout de même encore énormément d’obstacles dans les cadres réglementaires, par la multiplicité des subsides ou encore en matière urbanistique. »

Véronique Gillet : « Les jeunes sont effectivement de plus en plus nombreux à entreprendre. Les raisons en sont multiples : en quête de sens, ils sont de plus en plus à vouloir créer leur propre emploi et à opter pour le statut d’indépendant ; des appels à projet lancés par la Région wallonne ouvrent de nouveaux horizons et développent la confiance. Vu leur nombre important, il y aurait toutefois lieu de simplifier les choses en ce qui concerne les structures offrant de l’aide aux porteurs de projets. On ne sait pas toujours à quelle porte frapper ! »

Serge Pampfer : « Pour les entreprises innovantes, il existe en effet au moins quelque 90 aides, primes, subsides et exemptions différentes. Tout cela est en outre formulé dans un vocabulaire souvent hermétique, sur lequel l’entrepreneur s’épuise. Il est important d’arriver à une rationalisation rapide. »

Pierre-Yves Jeholet : « On ne le dit pas assez : les PME, les TPE, les indépendants sont des héros ! Ces gens osent, investissent et travaillent énormément. Toutefois, il faut aussi oser dire que par rapport à la Flandre, il y a un problème culturel, qui s’amenuise heureusement. Au Nord du pays, on n’est pas gêné de voir son entreprise grandir et engager. En outre, la peur de l’échec est moins présente en Flandre. Un entrepreneur peut essuyer un revers, puis se relever et connaître le succès. Je constate également que le climat social fait peur à certains entrepreneurs désireux de grandir davantage. »
 

 

Quel regard portez-vous sur l’impact de la révolution numérique sur l’économie ?
 

Jean-Pierre Jansen : « Le numérique a accéléré les attentes des clients. Nous devons abattre les barrières pour être adaptables, flexibles et aller plus vite. Sans cela, nous risquons d’être battus par les marchés internationaux. Cette révolution numérique concerne tous les secteurs et ceux-ci ont tous besoin d’accompagnement. Au niveau de l’enseignement, elle a d’ailleurs amené un changement extraordinaire dans la formation des futurs chefs d’entreprise, cadres, salariés, etc. La question de la sécurité est également essentielle ; il faut conscientiser, former et accompagner toutes les personnes désireuses de se lancer dans des transactions via le net. »

Pierre-Yves Jeholet : « Il est en effet important d’avoir, dès l’école, des programmes en rapport avec le numérique. Les entreprises qui ratent le train de la digitalisation ne survivront pas ! Le politique a une responsabilité, mais il n’est pas toujours facile de l’assumer. Mettre en place par exemple le réseau 5G assurera une hyper connectivité des entreprises, mais génère énormément de questions au niveau de la santé et de l’environnement. »

Serge Pampfer : « La digitalisation est un moyen, pas une fin en soi ! Comme cela a été le cas dans la biotechnologie, il faut avoir le courage politique de choisir des projets de digitalisation sur lesquels miser spécifiquement. Il faut vraiment se poser la question de savoir comment la Wallonie peut être championne dans des technologies ou des applications précises et pointues. Cela aurait un effet mobilisateur important pour aligner, entre autres, les besoins en formation et en financement. »

Chantal De Bleu : « l’AWEX est particulièrement attentive au numérique, notamment pour l’établissement de partenariats à l’étranger. Dans l’e-commerce, la Wallonie connaît toutefois du retard en matière de réglementation et de législation. Celles-ci doivent pouvoir s’adapter rapidement aux situations du marché, dont l’évolution est constante. »

Kim Möric : « Il ne faut pas sous-estimer l’asymétrie de l’information : certains acteurs disposent de plus d’informations que d’autres. Certains partenaires privés maîtrisent mieux l'exécution du contrat de PPP que des partenaires publics. Pour réduire cette asymétrie, il faut regrouper les expériences en matière de risques par rapport aux nouvelles technologies. À l’occasion de partenariats, on peut avoir des transferts d’information sur la connaissance des risques. Le secteur public pourrait aussi développer cette culture du risque en s'organisant et en considérant que la connaissance des risques est précieuse. »

Véronique Gillet : « La jeunesse a le nez dans le digital. Elle le considère comme une possibilité de ne pas devoir effectuer des tâches répétitives ou rébarbatives. Il faut toutefois se méfier des discours annonçant la disparition de certains métiers, comme celui de comptable. Si ce dernier devra passer moins de temps sur des tâches telles que l’encodage, son expertise et son conseil resteront néanmoins indispensables. Il est donc central que la formation permette de développer l’esprit d’analyse. »

Thierry Nollet : « Si nous devons suivre les évolutions et idéalement les anticiper, nous ne devons pas délaisser les métiers de base et certainement pas déshumaniser la relation. Le secteur public et le non-marchand restent des secteurs répondant aux besoins cruciaux de la population. »

 

Quels éléments désirez-vous encore mettre en exergue ?
 

Chantal De Bleu : « Nous restons attentifs aux demandes des entreprises et des étudiants entrepreneurs qui viennent déjà frapper à la porte de l’export. Pour ce faire, l’AWEX travaille au renforcement de nos synergies avec les incubateurs et sur le programme Explort, dans lequel nous collaborons avec le FOREM et différentes hautes écoles. Par ailleurs, nous avons mis en place l’an dernier l’International Academy. Son rôle est d’apporter aux entreprises des informations de terrain sur des segments précis du commerce extérieur et de compléter notre système de monitoring, constitué de diagnostics à l’export réalisés par nos centres régionaux. »

Serge Pampfer : « Je retiendrai de ce débat que nous n’avons pas eu peur d’utiliser des mots comme fierté, ambition, espoir et confiance. Les Wallons doivent pouvoir se retrouver en tant qu’acteurs et bénéficiaires au cœur de ces valeurs humaines. Elles sous-tendent tous les défis, technologies et innovations auxquels nous sommes confrontés. »

Kim Möric : « Quand on démarre un partenariat, on ne sait jamais comment cela se terminera : on peut le présumer, mais il existe une inconnue. Il est donc essentiel d’avoir une bonne compréhension des risques. Alors qu’elle est déjà fortement présente dans le secteur privé, la culture du risque mérite encore d’être développée dans le secteur public. Il s’agit non seulement de prendre des risques, mais aussi de mesurer ceux-ci correctement, notamment en se basant en toute transparence sur le passé, en évaluant ce qui fonctionne ou non et pourquoi. Il serait intéressant d’établir des partenariats privés et publics sur cette question. Le secteur public a pour avantage la plus grande permanence de ses acteurs. Ceux-ci devraient tirer parti de celle-ci pour construire une mémoire des risques. Quelles sont les causes de suppléments et de délais ? Quand surviennent-elles ? Avec quelle intensité ? »

Thierry Nollet : « Toute politique a besoin d’adhésion. Je me réjouis des améliorations importantes apportées au statut des indépendants. Lorsque les projets de ces derniers sont bien accompagnés et qu’ils sont pérennes, il y a souvent de l’emploi à la clé. Nous délivrons au quotidien des outils de guidance, de la formation et du conseil, souvent en synergie avec des acteurs académiques afin de mieux coller à la réalité. »

Véronique Gillet : « Je travaille au quotidien avec des jeunes, chez lesquels je constate une agilité intrinsèque. De ce fait, ils ont nettement moins peur d’entreprendre au-delà de nos frontières, voire chez nous, en allant explorer ce qui s’y fait. »