Quels sont généralement les obstacles rencontrés dans le cadre des transmissions d’entreprises familiales ?

Laurent Weerts : « Ils sont tout d’abord - et principalement - d’ordre individuel. Transmettre son entreprise, c’est un peu comme se séparer de son bébé ! Il y a un renoncement. Ensuite, il faut choisir entre une vente à l’externe ou une transmission à ses enfants. Dans ce dernier cas, des questions peuvent se poser concernant, par exemple, les compétences ou la motivation du successeur. Puis, viennent des difficultés d’ordre technique : la succession se fera-t-elle sous la forme d'un don ou d'une vente ? Comment évaluer l’entreprise et fixer un prix d’achat ? Un autre obstacle vient d’une difficulté contextuelle, par exemple liée à la conjoncture économique. Est-ce le bon moment de vendre ? Que fera-t-on de l’argent compte tenu des faibles rendements actuels ? Enfin, le dernier obstacle est plutôt d’ordre relationnel. Une transmission peut entraîner des tensions au sein de la famille. C’est le cas si le cédant choisit de confier l’entreprise à seulement deux de ses trois enfants, parce que l’un d’eux est jugé incompétent. Dans le même ordre d’idée, si les enfants ne sont pas « bien vus » par le personnel de l’entreprise, cela peut entraîner des conflits. »

Quel a été l’impact de la crise économique et financière sur les transmissions ?

L. W. : « Deux études de l’IEF réalisées en 2007 et 2014 montrent que son impact a finalement été relativement faible. En 2007, soit avant la crise, 68 % des chefs d’entreprises familiales comptant plus de 10 équivalents temps plein voulaient transmettre leur société à leur famille ; en 2014, après la crise, on était à 62 %, soit une diminution de 6 %. Dans la plupart des sociétés, la crise a ralenti le processus de transmission car les chefs d’entreprise souhaitent plus qu’auparavant avoir des successeurs plus compétents et, surtout, que ceux-ci puissent donner un second souffle à l’entreprise. »

À partir de quand doit-on se préparer à une transmission ?

L. W. : « La problématique de la transmission commence dès le berceau ! Si vous n’avez pas d’enfants, vous constituez votre société et vous la vendrez. Si vous avez des enfants, la question de la transmission va se poser quand l’enfant arrive dans la famille. Ensuite, à mesure qu’il grandit, se pose la question de savoir ce qu’il fera plus tard. Jusqu’au milieu des années 1980, il y avait quelque part une sorte d’obligation morale : l’enfant devait reprendre l’entreprise. Les mentalités ont changé : de nos jours, on laisse beaucoup plus de choix à l’enfant. »

Il faut donc donner la parole aux enfants…

L. W. : « Effectivement. Car, d’une part, la transmission est un processus qui prend beaucoup de temps et, d’autre part, ils doivent pouvoir exprimer et expliquer leurs choix. Il ne faut surtout pas forcer la nature, sans quoi on risque par exemple de faire collaborer des personnes qui, à terme, ne pourront pas s’entendre lorsque le chef d’entreprise ne sera plus là. Par manque de dialogue, beaucoup de conflits surgissent, malheureusement. D’où l’intérêt aussi de bien se faire entourer et conseiller par des experts. De manière générale, la transmission d’entreprise est un sujet encore trop souvent tabou au niveau de la famille : les gens n’osent pas en parler ! Il faut pourtant arriver à démystifier le sujet et à en parler avec ses enfants. »

Constatez-vous une baisse des transmissions familiales ?

L. W. : « Les chiffres dont nous disposons pour la France montrent que 64 % des entrepreneurs souhaitent transmettre leur société à leurs enfants. Ce pourcentage doit être assez proche de celui de la Belgique. Si la volonté est là, malheureusement seuls 26 % y parviennent. La transmission interfamiliale reste un parcours du combattant et si elle n'est pas bien menée, elle peut entraîner la disparition de la société. »

La transmission pose-t-elle plus de difficultés dans certains secteurs d’activité ?

L. W. : « Oui, c’est notamment le cas dans l’agriculture ou dans d’autres sociétés de type patrimonial : la valeur des actifs - les terres - est plus importante que la valeur calculée sur la rentabilité de l'exploitation. Si, par exemple, vous avez trois enfants mais que deux d’entre eux ne veulent pas reprendre l’exploitation, comment valorise-t-on les terres pour ne pas léser ces deux-là, tout en n’imposant pas un fardeau au repreneur ? C’est compliqué ! L’agriculture n’est pas le seul secteur concerné. Selon notre étude de 2014, de moins en moins de sociétés industrielles font l’objet d’une transmission familiale. Cela suit la logique économique du moment : l’industrie cède progressivement la place aux services. Dans ce contexte, nous constatons cependant un point positif : de plus en plus de femmes reprennent - avec succès - des entreprises familiales et même, parfois, dans des secteurs qu’on croirait - a priori - réservés aux hommes. C’est par exemple le cas dans la construction, essentiellement en Wallonie. »